Alma, Lina, Laura

Tu n’es plus dans la chambre, tu as quitté l’appartement. Au premier plan un tableau, une femme nous regarde. Elle est brune ses yeux sont bleus. On entend des conversations, des témoignages, la femme du tableau a été assassinée. Elle apparaît par fragments au fil des descriptions. Plan sur l’horloge. C’est l’histoire de Laura. Laura Hunt a été assassinée un dimanche soir dans son appartement de New York, nous sommes en 1944, Laura n’a plus de visage. Deux coups de chevrotine ont éparpillé sa peau, elle n’a plus de traits. Il pleut et on entend la musique de David Raksin. I shall never forget the week-end Laura died. Le corps de Laura est un fantôme, il ne sera jamais montré. Trois hommes montent dans l’appartement, sur les marches de l’escalier un tapis étouffe les pas. Le premier entre un instant, le détective. Il porte un costume gris, une cravate à rayures et un chapeau dont un ruban noir souligne le feutre clair. Le deuxième homme entre à son tour, mouvement de caméra, elle l’accueille. Il est plus vieux, son costume croisé se pare d’un œillet blanc à la boutonnière. Il retire son chapeau. Le troisième homme les suit, plus athlétique, c’est l’amant. Son costume trop grand fait ressortir la tête minuscule. Les stores sont baissés, la lumière ne peut pénétrer dans l’appartement. Seuls les trois hommes ont la permission d’entrer. Le détective entrouvre les stores, la lumière, on ne voit rien de l’extérieur. Le tableau à nouveau. Elle les fixe, rayonnante elle esquisse un sourire. Have you ever been in love? La musique revient. C’est l’une des favorites de Laura. Un miroir fragmente l’espace et réfléchit le récit. L’horloge. Une chez lui une chez elle, identiques. Les trois hommes se dirigent vers la chambre, le couvre-lit est moelleux, l’ambiance feutrée, voilée par des rideaux de tulle fin, les motifs en dentelle qui t’enserrent le cou Lina. Le miroir octogonal te laisse contemplative devant ton reflet incomplet. Un lit à baldaquins flotte au centre de deux tables de nuit qui l’encadrent. Everything about Laura concerns me. Le premier homme observe les deux autres. Noir.

La première fonction de la structure des architectures de Loos est de faire tenir le recouvrement en place, l’intérieur en ordre. L’intérieur est une mise en scène du désir […]

Alma, Lina, Laura, 2015

Texte publié dans la revue Jef Klak au printemps 2015. Il met en scène la rencontre fictive d’Alma Mahler, de Lina Loos et de Laura, le personnage du film éponyme d’Otto Preminger dans des décors déssinés par Adolf Loos et Le Corbusier. Il emprunte aux théories féministes appliquées à l’architecture de Beatriz Colomina et à la définition du glamour que fait Serge Margel. Le texte est disponible en version pdf dans la partie «parutions».