Amélie Giacomini et Laura Sellies travaillent ensemble depuis plusieurs années. Leur collaboration s’ancre dans une pratique postperformative qui questionne l’objet scénique, le film en tant que dispositif performatif, le langage-outil et les mythologies contemporaines. Leur relecture et leur interprétation de la modernité prise comme une matrice scénaristique, permettent d’établir une réciprocité critique avec les formes qui les ont précédées. Les questions de la sculpture, des bio-objets, tant les corps à l’oeuvre semblent alterner entre la posture sculpturale, la gestuelle dansée et l’action, en font les vecteurs d’un travail complexe. Parfois issus de romans, les titres de leurs installations/performances racontent des histoires, tel Une partie indivisible de sa scénographie aquatique (2014), ou disent littéralement ce qu’on voit, comme Le fond bleu (2014), Pente inclinée (2014) ou encore Fond et sa sculpture dissimulée (2014). Tandis que les formes jouent de l’ambigüité entre le mobilier décoratif, les éléments géométriques minimalistes et l’accessoire télévisé, les coloris employés sont souvent issus de la culture populaire. Les teintes acidulées ou saturées créent une tension avec les matériaux utilisés.
L’installation performée pour le Salon de Montrouge, 5:03 contre-plongée, léger dégradé, il fait chaud, tient compte des modalités de l’exposition et pose la question du module. En regard de l’architecture moderniste d’Adolf Loos et de sa critique de l’ornement, on pourrait prendre l’usage des coloris rose et du miroir comme des contre-pieds «camp» de cette économie de l’espace moderniste. À la fonctionnalité des matériaux de l’architecte autrichien répond une économie du désir qui convoque le regard comme vecteur de mouvements, déplacements et sens. Les artistes font une lecture post-performative de la maison pour Joséphine Baker, utopie fantasmée en 1928 par l’architecte, dont le cœur était une piscine vitrée. C’est la transparence de ce bassin qui perturbe les notions de haut et de bas, puisque le corps de la nageuse aurait été visible aussi bien du rez-de-chaussée que de l’étage. Le corps de l’artiste devient surface de projection, tel l’écran de cinéma. Entre statue et modèle, image et sculpture, la jeune femme qui vient animer la pièce semble prendre vie telle l’œuvre de Pygmalion. Si, en animant la pièce, la jeune femme lui donne vie, elle devient à son tour un fantôme, une image, en disparaissant. Son corps «canon» et son visage sans affect lui confèrent une étrangeté qui met en doute sa présence réelle. Elle est elle-même un reflet. Une sculpture/auvent est fixée sur la cimaise. Derrière elle, la photographie agrandie d’une surface aquatique semble sortir d’un film d’anticipation. Le parallélépipède du mur est miroitant et pourrait selon l’incidence des angles refléter les corps en mouvement, ceux des passants, spectateurs, performeuses… Il s’agit du lac Retba, situé au Sénégal, dont les eaux sont roses à cause de la concentration d’une bactérie productrice de pigment rouge. Au sol, devant le mur, une forme géométrique légèrement trapézoïdale est une sculpture granit. Le dispositif met en abyme le spectateur, la jeune femme et le décor formé par l’image verticale et la sculpture. La projection imaginaire, le désir de voir et l’inquiétude quant à la reconnaissance d’indices familiers produisent une dialectique entre le connu et le rêvé.