On aimerait pouvoir parler des performances avec sculptures obligées d’Amélie Giacomini et Laura Sellies sans d’abord les décrire. Car on ne peut les décrire sans un peu divaguer. Mais comment parler de ce qui s’offre comme un jeu inédit entre des sculptures et un corps si l’on s’interdit de le restituer.
Essayons.
On voit des objets peupler un espace qui pourrait être de réception s’il n’était ainsi parsemé de spectateurs. De loin, les objets ressemblent à des émissaires échangeant des amabilités. Les rois qu’ils représentent viendront plus tard se dit-on. De plus près, les objets deviennent des sculptures. Elles sont étrangement disposées. Trop proches pour n’être point secrètement liées les unes aux autres, elles dessinent une scène désorientée. On s’approche. Difficile de trouver le bon point de vue. Où que l’on se place, quelque chose manque, se dissimule, disparaît derrière un pan, un flanc, un biseau. Le spectateur circule avec prudence. Il a l’impression que les sculptures l’observent, chuchotent, parlent dans son dos. Un corps apparaît, subreptice, nageuse ou danseuse, maillot de bain rouge ou bleu nuit. Elle traverse la scène, caresse une arête, longe une face, calme les chambellans, anime le désordre apparent d’un but nouveau, saisissant, inéluctable. Les sculptures se mettent à respirer. La jeune femme, geste précis, raffiné, s’élève, gire, devient gymnaste, nage dans l’air. Le spectateur tourne autour d’un objet pour la suivre du regard, un verre poli et délicatement teinté la cache un moment. Elle est sur le ventre, étendue sur un haut muret carrelé, jambes et bras tendus vers le haut, courbe parfaite. La scène voudrait se figer dans sa complétude. Le spectateur n’ose un geste, il craint s’il bouge que tout se fissure, tombe, se disperse. Le corps tremble un peu, détend ses membres, brise sa ligne ; les sculptures respirent, prennent plus de place, chuchotent brièvement ; le corps s’efface, quitte la scène. Lentement, le spectateur revient à lui. Il observe les objets indifférents, heureux d’avoir, bien qu’à peine, participé à ce qui s’est joué là. Il se demande ce qu’ils pourront bien faire et se dire une fois qu’il aura quitté le lieu. «Qu’y expose-t-on ?» entend-il en sortant. La question ne l’effleure pas. Il reviendra demain. Car l’événement, ici, se répète.
Commentons un peu.
Les objets sont les sculptures mais ils seront aussi le décor de la scène quand le corps les traversera. Des sculptures que les mouvements de la performeuse transforment en partenaires, dont le sens et la disposition attendent qu’elle vienne les éclairer, les rehausser. Elles existent seules pourtant. Mais deviennent autres quand l’événement commence. Parfait exemple de plasticité. C’est pourquoi les actions d’Amélie Giacomini et Laura Sellies sont aussi des expositions de sculptures: on préfèrerait dire des «temps». Un temps où leur étrangeté se suffit à elle-même. Un autre où elle se rehausse du mouvement d’un corps. Rien ne se révèle, tout change, le «temps» devient celui d’un théâtre possible, muet, mystérieux, peuplé d’objets spectateurs. Nous, qui sommes là aussi, attendons ce moment pour divaguer. Puis la danseuse sort et les sculptures reprennent leur pose, retrouvent leur solitude. On croit les avoir vu s’éveiller. Illusion rétrospective. L’effet de l’art.