Les installations et sculptures d’Amélie Giacomini et Laura Sellies, qui ont exposé au Salon de Montrouge 2015, participent de ce qui a été appelé la post-performance, en cherchant à dépasser la dimension éphémère à travers l’objet-accessoire, la chorégraphie et le rapport à l’image. De Joséphine Baker aux divinités africaines Mami Wata, leurs récits interrogent la modernité à travers l’animisme et une politique féministe du regard.
Le terme «performatif», emprunté à l’anglais, recouvre un lexique qui va de la mise en scène du quotidien au sport en passant par les discours politiques, et donc bien au-delà de la seule performance artistique. Fin 2012, aux Beaux-Arts de Lyon, se tenait le colloque «Post-Performance Future», organisé par Marie de Brugerolle, responsable d’une formation sur le sujet. Ce fut un moment emblématique de redéfinition de la «performance» après les changements opérés par la génération précédente. Sortant de sa définition classique – associée à l’artiste qui prend son corps comme outil pour réaliser une action éphémère, refusant la production d’objets pour le marché –, la performance ici débattue cherchait à sortir de la mystification de «l’authenticité» du corps et assumait un rapport à l’image, à l’objet et au remake. L’artiste Guy de Cointet y apparaissait comme une figure clé, dans sa façon de trans-codifier un langage dans un autre (le cinéma filtré par le modèle télévisé ou transformé en roman).
Les sculptures d’Amélie Giacomini et Laura Sellies, qui ont suivi le cursus de Marie de Brugerolle à Lyon, donnent effectivement l’impression d’un besoin d’être activées par un geste ou un récit. Cherchant à élargir la notion de performance, elles se sont intéressées à la façon dont le sport s’approprie la danse dans la natation synchronisée. «À Los Angeles, nous avons été saisies par ce paysage urbain de piscines à perte de vue, qui a été le point de départ pour une ‹scénographie aquatique›. Pour le prologue, une intervenante déployait des formes géométriques sur un pupitre jusqu’à former un fond bleu, devenant le générique d’une fiction, se rappellent les artistes. Il y avait quelque chose de la présentatrice de la Roue de la fortune mais les formes étaient lourdes, ce n’était pas élégant. De la même façon, tu ne dois jamais voir l’effort dans la natation artistique et ici, quand une nageuse se plaçait en tension sur une sculpture de piscine, éclairée par une lampe bleue, elle tremblait jusqu’à l’épuisement». Leurs sculptures minimales peuvent évoquer la rationalité moderniste, mais jouent d’une ambiguïté avec l’accessoire télévisé ou le mobilier, et sont perturbées par la sensualité du toucher des performeuses. L’une d’entre elles vient raconter à l’oreille des visiteurs l’histoire de María-Marie, un personnage d’un roman de Rodrigo Fresán qui fictionnalise tout et croit que le monde changerait si toutes les filles tombaient dans une piscine. Car les projets d’Amélie Giacomini et Laura Sellies sont souvent portés en filigrane par des personnages féminins qui problématisent le rapport au vieux modernisme du mâle blanc occidental – un engagement identifiable chez de nombreuses artistes actuelles (Lili Reynaud Dewar, Mai-Thu Perret, Karina Bisch, Emily Mast, Pauline Boudry & Renate Lorenz, Jessica Warboys). Pour un autre projet, elles ont voulu confronter l’architecture moderniste d’Adolf Loos à la réflexion féministe de Beatriz Colomina sur le voyeurisme domestique. Les maisons de Loos étaient organisées selon un point de vue panoptique (il a dessiné une chambre coffrée pour sa compagne Lina à Vienne, et projeté une villa pour Joséphine Baker avec une piscine vitrée à l’étage, ce qui permettait de la voir nager par en dessous). Amélie Giacomini et Laura Sellies répondent à la critique de l’ornement de l’architecte avec l’installation au mur d’une sculpture-miroir rose, et remplacent son fonctionnalisme par une économie du désir: une gymnaste regardera les visiteurs à travers le miroir, retournant à la fois la surveillance et le voyeurisme. La sculpture est accrochée sur une image d’un lac rose au Sénégal, où elles ont tourné leur nouveau film. Dans celui-ci, une femme se dédouble (l’une est blanche, l’autre noire) dans un jeu rituel avec des disques-miroirs, des sculptures-toupies ou une harpe jouée par le vent. Essayant de dépasser les questions postcoloniales – «Il ne faut pas laisser un lieu à son seul passé, il peut aussi devenir autre chose», affirment-elles –, le duo s’inspire des Mami Wata, ces divinités aquatiques androgynes, protectrices des prostituées de Kinshasa, pour explorer une forme d’animisme qui associe le son à la sculpture, les objets à des corps, et l’humain à l’animal.